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Si l’impact de l’instauration d’un mariage entre personnes du même sexe – on devrait d’ailleurs plutôt employer le terme de « genre » – suscitera des questions juridiques intéressantes, il en sera probablement de même de la déclaration de François Hollande, devant l’assemblée des maires de France. Tel une Antigone, le Président de la République déclara le 20 novembre 2012, devant un parterre médusé :
« Les maires sont des représentants de l’État. Ils auront, si la loi est votée, à la faire appliquer. Mais je le dis aussi, vous entendant : des possibilités de délégation existent ; elles peuvent être élargies. Et il y a toujours la liberté de conscience. (…) La loi s’applique pour tous dans le respect, néanmoins, de la liberté de conscience ».
Une différence de traitement de rang législatif
Retour en arrière, en 2004 : du 12 février au 23 mars 2004, Gavin Newsom, maire de San Francisco, maria des personnes de même sexe, arguant de l’inconstitutionnalité des dispositions réservant le mariage aux personnes de sexe opposé.
Inspiré par ce coup de force politique, Noël Mamère, maire de la commune de Bègles, résolut d’officialiser l’union de Stéphane Chapin et Bertrand Charpentier. Le 27 mai 2004, le procureur de la République près de TGI de Bordeaux notifia son opposition au maire qui, passant outre, maria les deux hommes le 5 juin 2004. Ce mariage fut annulé en première instance, l’annulation étant confirmée en appel.
Saisi d’un pourvoi contre l’arrêt d’appel, le 13 mars 2007, la première chambre civile de la Cour de cassation interpréta la loi française comme réservant le mariage aux personnes de sexes opposés. Cette décision n’allait pas nécessairement de soi car le code civil ne pose pas explicitement de condition du mariage reposant sur l’altérité du sexe des époux. Depuis lors, il faut lire le code civil ainsi : « selon la loi française, le mariage est l’union d’un homme et d’une femme ».
La décision du 15 mai 2008 de la Cour suprême de Californie donna une nouvelle dimension au débat juridique en déclarant inconstitutionnelles les lois réservant le mariage aux personnes de sexe opposé. Cependant, une telle solution ne pouvait se transposer en France, où le contrôle de constitutionnalité des lois par voie d’exception n’existait pas.
Or, la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 instaurant une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) ouvrit précisément une voie de droit permettant de faire reconnaître l’inconstitutionnalité du code civil éclairé par la jurisprudence de la Cour de cassation. Corinne Cestino et Sophie Hasslauer, souhaitant se marier, s’étaient vu notifier une opposition du procureur de la République. Il y avait là prétexte à une QPC.
Par une décision du 28 janvier 2011, le Conseil constitutionnel décida :
« qu’en maintenant le principe selon lequel le mariage est l’union d’un homme et d’une femme, le législateur a, dans l’exercice de la compétence que lui attribue l’article 34 de la Constitution, estimé que la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d’un homme et d’une femme peut justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille ».
Cette décision, qui ne précise justement pas ce qui justifie objectivement la différence de traitement fondée sur le sexe, conduit donc à laisser au législateur le soin de fixer ce qui relève d’une différence de traitement objective ou non. En d’autres termes, en matière de mariage, établir une différence de traitement fondée sur le sexe n’est pas contraire à la Constitution et relève même d’une obligation imposée par la loi.
Acte I : Le refus illégal de célébrer les mariages
Promesse de campagne de la majorité législative, le projet de loi n° 344, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, conduira amender ainsi l’article 143 du code civil :
« Le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe ».
Dans ce contexte, la différence de traitement fondée sur le sexe, y compris en matière de mariage, ne sera plus légale. Par voie de conséquence, l’article 225-1 du code pénal déploiera tous ses effets en la matière ; son alinéa 1er dispose que :
« Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de (…) leur sexe, (…) de leurs mœurs, de leur orientation ou identité sexuelle… ».
Ainsi, le maire refusant à l’avenir de célébrer des mariages commettra une discrimination punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende par le 1° de l’article 432-7 du code pénal.
Mais concrètement, comment deux futurs se voyant opposer un refus par un maire fondé sur leur appartenance au même sexe pourraient-ils agir afin de forcer le maire à célébrer leur mariage ?
a) En première voie, ils pourraient agir en responsabilité contre l’État pris en la personne de l’agent judiciaire. Le problème de ce choix procédural tiendrait à ce que l’État soit rendu responsable des agissements d’un maire, de sorte que cette responsabilité n’aurait pas pour effet direct d’enjoindre au maire d’agir. On notera que les juridictions administratives, qui disposent ordinairement d’un pouvoir d’injonction, ne sont pas compétentes.
b) En deuxième voie, ils pourraient délivrer une citation directe contre le maire afin de le voir condamné en correctionnelle pour discrimination. Cette voie de droit est intéressante, car un nouveau refus exposerait le maire à une condamnation lourde sous le joug de la récidive de l’article 132-10 du code pénal, c’est-à-dire à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende. Le problème tient en la durée de la procédure, qui encore une fois, ne conduit pas à enjoindre au maire de célébrer le mariage. De plus, la discrimination devrait être démontrée, ce qui sera rendu plus difficile au cas où le maire laisse simplement traîner la demande de mariage.
c) En troisième voie, ils pourraient agir au civil contre le maire. Certes, la jurisprudence De Panafieu (Civ. 1re, 6 février 2007) ne voit pas dans le refus de célébrer un mariage une faute détachable du service ; cependant, un tel refus constitutif d’une discrimination pourrait le devenir. Malgré tout, cette poursuite ne sera pas intentée ès qualité, de sorte que le juge ne pourra vraisemblablement pas obliger un maire, pris hors de sa mission de service public (faute détachable), à exercer une mission relevant précisément du service. Une subtilité consisterait alors à demander une condamnation à une astreinte lourde pour tout nouveau refus de célébrer le mariage commis par ce même maire. C’est peut être la voie de droit la plus rapide à défaut d’être simple.
d) Plus délicate est la question de la recevabilité d’une demande, adressée par les futurs, au ministre de l’intérieur, visant à ce que ce dernier sanctionne le maire sur le fondement de l’article L. 2122-16 CGCT. D’une part, au regard de la déclaration de François Hollande, il est fort à parier que le ministre (rendu timoré) ne sanctionnera pas les maires. D’autre part, on sait que la jurisprudence administrative distingue le cas où une autorité administrative disposant de pouvoirs de sanction renonce à donner suite à une plainte (CE, 30 décembre 2002, Mme Rimonteil de Lombares c. Morgan Guaranty Trust Company of New York, n° 240635), cas dans lequel le plaignant est recevable à contester le classement sans suite, et celui où le demandeur est considéré comme un tiers (CE, 9 juillet 2007, Afub c. Amf, n° 292077). Ces jurisprudences, qui relèvent de la casuistique, ne permettent pas de déterminer clairement si l’action serait recevable. En toute hypothèse, la suspension ne conduirait pas nécessairement à ce que le remplaçant/successeur du maire sanctionné se comporte de manière plus honorable que l’édile écarté.
On le voit, il n’existe pas de voie de droit idoine permettant de faire respecter facilement la loi par les maires frondeurs, faute d’une volonté politique claire du Gouvernement. Cependant, on peut imaginer, hypothèse assez baroque et amusante, que le préfet ou son délégué spécial vienne célébrer, dans la mairie, à la place du maire et sur le fondement de l’article L. 2122-34 CGCT, les mariages bloqués par les maires frondeurs. Ce pied-de-nez inédit pourrait être mis en œuvre avec malice.
Acte II : Les délégations-pour-laisser-à-d’autres-le-sal-boulot
Par ailleurs, le Président Hollande, comme nous l’avons vu, a évoqué des délégations de pouvoirs susceptibles de dégager les maires de leurs obligations. Cependant, la célébration de mariages étant réservée aux officiers de l’état civil (art. 75 du code civil), seuls le maire et ses adjoints peuvent célébrer les mariages (L. 2122-32 CGCT), et non pas les fonctionnaires municipaux (R. 2122-10 CGCT).
Toute pratique visant à ce que certains adjoints et pas d’autres célèbrent les mariages serait constitutive d’une discrimination, tout comme le fait de traiter les mariés de même sexe d’une manière différente des autres (salle annexe au lieu de la salle de mariage, célébration de mariages de manière séparée en fonction du genre, etc.).
Ainsi, s’il apparaissait qu’un maire traite de manière différente les futurs de même sexe et les autres, ils pourrait être personnellement poursuivi comme il a été dit précédemment, et l’État se voir condamné au civil.
François Hollande évoqua également la possibilité d’élargir les délégations. Cela reviendrait à amender l’article R. 2122-10 CGCT, c’est-à-dire certainement à étendre la faculté de célébrer les mariages à des fonctionnaires communaux. Or, une délégation de fonction ne portant que sur les mariages de personnes du même sexe serait discriminatoire, donc nulle. Effet amusant : seules les personnes du même sexe seraient négativement touchées par cette délégation illégale ! Qu’elles se rassurent cependant : depuis l’affaire des mariages de Montrouge, dans laquelle la Cour de cassation déclara par un arrêt du 17 août 1883 que des mariages célébrés dans les formes par un conseiller municipal qui n’avait pas rang pour le faire étaient néanmoins valables, l’annulation n’est encourue qu’en cas de fraude.
On le comprend néanmoins bien : la proposition de François Hollande instaurerait une discrimination potentielle et une insécurité juridique évidente.
Le Présidantigone
Quelle mouche a pu piquer le Président de la République en exercice pour que celui-ci annonce que les agents de l’État pourraient écarter l’application de la loi en vertu d’une sorte de clause de conscience ?
Certes, l’article L. 2212-8 du code de la santé publique dispose :
« Un médecin n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse mais il doit informer, sans délai, l’intéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention ».
Cependant, cette » clause de conscience » est prévue explicitement dans la loi et est circonscrite à un type d’acte médical particulier. Le Conseil constitutionnel (décision n° 2001-446 DC du 27 juin 2001) a considéré que cette distinction opérée entre des actes médicaux permettrait de sauvegarder la « liberté, laquelle relève de sa conscience personnelle ». Pour autant, le Conseil a posé une limite à cette liberté, à savoir le « principe constitutionnel d’égalité des usagers devant la loi et devant le service public » (§ 15). Ainsi, les sujétions du service public écartent les états d’âme de chacun, ce qui est bien logique dans un État de droit.
En se prenant pour Antigone, François Hollande a en définitive exprimé un trait de caractère français tenant à ce que chacun se fasse l’arbitre, à son propre niveau, de la loi. On l’applique jusqu’à ce qu’on ne soit pas d’accord ou, pire, qu’on ne comprenne simplement pas son objectif.
Certes, l’article 33 de la Constitution de 1793 disposait que :
« La résistance à l’oppression est la conséquence des autres Droits de l’homme ».
Et d’une façon comparable, l’alinéa 4 de la loi fondamentale allemande dispose que :
« Gegen jeden, der es unternimmt, diese [verfassungsmäßige] Ordnung zu beseitigen, haben alle Deutschen das Recht zum Widerstand, wenn andere Abhilfe nicht möglich ist » (Tous les Allemands ont le droit de résister à quiconque entreprendrait de renverser cet ordre [constitutionnel], s’il n’y a pas d’autre remède possible).
La doctrine constitutionnelle allemande qualifie cependant très clairement ce droit à la résistance comme l’ultima ratio, étape finale lorsqu’on ne peut plus rien faire pour garantir les droits fondamentaux. Dans ces conditions, refuser de célébrer des mariages entre des personnes consentantes apparaît risible au regard de la remise en cause de la démocratie ; l’invitation à la désobéissance est en revanche consternante quand elle est exprimée par un chef d’État.
Si, pour l’instant, la loi n’est pas encore votée, une telle déclaration après sa promulgation, qui incite les maires à désobéir à la loi, sera illégale et pourra être annulée par un requérant malicieux (cf. CE, 27 novembre 2000, association Comité tous frères, n° 188431).